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12 juin 2024

A l’Est de la RD du Congo : malgré l’insécurité, Memisa nous donne la force de continuer notre mission

Sœur Jeanne-Cécile est la coordinatrice du BDOM Bunia, notre partenaire local à Bunia. Cela fait 20 ans qu’elle travaille en étroite collaboration avec Memisa. En mai 2024, lors d’une visite de nos bureaux à Bruxelles, elle prend le temps de s’entretenir avec nous. Une conversation passionnante s’en suit, sur l’insécurité à l’Est de la RD du Congo ainsi que sur le partenariat fidèle et constructif avec Memisa. Sœur Jeanne-Cécile exprime sa gratitude pour le soutien qu’elle reçoit.

Cécile ATIM NEDI. NYAMUNGU

  Dr./Soeur Jeanne-Cécile

« Je suis incroyablement reconnaissante envers Memisa pour son soutien, parce que la situation en Ituri n’est vraiment pas facile », soupire-t-elle, même si jour après jour, elle essaie de ne pas se décourager. À Bunia (dans la province de l’Ituri, à l’Est de la RD du Congo), où Sœur Jeanne-Cécile vit et travaille, ce soutien est plus que jamais nécessaire. « Par rapport à ce qui se passait il y a 20 ans, les problèmes de santé n’ont fait qu’augmenter ».

Collaborer dans le cadre d’un partenariat équitable

Memisa apporte un soutien structurel au système de santé local en Ituri depuis 1997.  Ensemble avec le BDOM Bunia, nous souhaitons faire face aux défis de santé publique dans cette région en proie à l’insécurité, en particulier dans le domaine des soins de santé primaires. Sœur Jeanne-Cécile qualifie le partenariat avec Memisa de « précieux ».

« Avec Memisa, le dialogue est toujours possible, contrairement à d’autres partenaires. Rien ne nous est imposé d’en haut. Lors du lancement et de la mise en œuvre des projets, les besoins sur le terrain sont toujours pris en compte. Nos connaissances issues du terrain aussi. »

Une des différences fondamentales par rapport à d’autres partenaires est l’approche structurelle de Memisa : « Memisa soutient le renforcement du système de santé local en donnant la priorité au renforcement des capacités et des institutions.  »

Le soutien aux zones de santé dans les provinces de l’Est de la RD du Congo est crucial. Car qui dit  « Est de la RD Congo », dit immédiatement « conflit ». La population locale, ainsi que l’infrastructure sanitaire locale, sont en proie à l’insécurité depuis des décennies. « Le besoin d’un soutien structurel au niveau des soins de santé est vraiment très important ici », déclare Sœur Jeanne-Cécile.

L’équipe de Memisa à Bunia

La situation à l’Est de la RD du Congo

Sœur Jeanne-Cécile estime que la Belgique, mais surtout la communauté internationale, ont accordé trop peu d’attention au conflit dans l’est du pays. Conflit qui dure depuis des décennies et dont les conséquences sont énormes.

La situation d’insécurité dans l’Est de la RD Congo n’a fait qu’empirer au cours des 20 dernières années. « Avant, il y avait déjà de l’insécurité, des massacres, des viols,… Mais ces événements violents sont aujourd’hui beaucoup plus fréquents qu’avant. »

Les difficultés sont nombreuses dans la province. Chaque jour, la population locale est confrontée aux violences : massacres, viols, destruction des infrastructures (de santé). « Dans ces circonstances difficiles, Memisa nous donne la force de continuer. Sans le programme que nous mettons en œuvre avec Memisa, la situation de la population locale aurait été encore plus désastreuse. Si l’on ajoute à cela l’instabilité, les conflits et la crise des réfugiés, tout devient encore plus difficile », souligne Sœur Jeanne-Cécile.

La résilience du personnel médical en situation de conflit

En tant que coordinatrice du programme de Memisa en Ituri, Sœur Jeanne-Cécile rencontre de nombreuses difficultés liées au contexte local. L’un des défis posés par l’insécurité est le manque de personnel qualifié dans les centres de santé des zones touchées. « Les citoyens ordinaires, mais aussi le personnel des centres de santé et des hôpitaux, fuient la région. On ne peut pas leur en vouloir, car la situation sur le terrain est vraiment très dangereuse ».

Centre de santé saccagé

Malheureusement, beaucoup d’agents de santé ont perdu la vie. Les autres restent sur le terrain, coûte que coûte. « Ici, dans l’est du pays, le personnel de santé fait preuve d’une formidable résilience. Il y a des médecins et des infirmières qui sont restés au même endroit pendant plus de 20 ans malgré l’insécurité. Ils et elles continuent à soigner leurs frères et leurs sœurs. Le programme de Memisa contribue aussi à cette résilience et apporte le soutien nécessaire au personnel médical ».

L’un des principaux défis est d’assurer la présence de personnel qualifié dans la région. Une solution pour garantir la motivation des prestataires de santé est de leur proposer des formations et d’assurer un renforcement de leurs capacités. « Nous avons particulièrement besoin de personnel capable d’assister les femmes pendant leur accouchement afin de réduire la mortalité maternelle et infantile.

« Grâce aux formations, nous donnons aux (futurs) soignants les connaissances et les capacités nécessaires pour prodiguer des soins dans un contexte difficile. Nous avons donné à 14 jeunes la possibilité d’obtenir un certificat d’aide-soignant. En leur donnant l’occasion de se former dans leur propre région, nous leur donnons l’envie d’y rester une fois leur diplôme en poche. Et de continuer à s’occuper de la population locale. Ils sont moins enclins à partir ».

Crise des réfugiés : Memisa apporte des kits d’hygiène et de dignité

Les violences incessantes dans la province d’Ituri ont provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes. Alors que des massacres et des viols ont lieu, que des villages entiers sont incendiés, la population doit chercher toujours plus loin de la nourriture, de l’eau, des abris et des soins de santé. Des centaines de milliers de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays. Cela entrave leur accès à des soins de santé de qualité.

Pour des centaines de milliers de personnes déplacées dans l’Est de la RD du Congo, l’accès aux soins est un véritable défi.

Les personnes déplacées vivent dans des conditions précaires. Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement vulnérables. Les mauvaises conditions d’hygiène, entre autres, augmentent le risque de propagation des maladies. En outre, les femmes et les jeunes filles sont souvent victimes de violences sexistes.

Afin d’améliorer les conditions d’hygiène des femmes réfugiées, nous avons distribué 486 kits de dignité dans les zones de Lita et Fataki. Ces kits sont indispensables dans les camps où l’hygiène de base fait souvent défaut. Ils comprennent :

  • des sous-vêtements,
  • des serviettes hygiéniques,
  • des linges hygiéniques,
  • du savon

Ce matériel est une aide précieuse pour les femmes pendant leurs menstruations. Memisa souhaite à donner aux femmes un minimum de dignité, même dans un environnement précaire et peu sûr.

« La puberté et le corps ne se développent pas différemment, que l’on soit en sécurité chez soi ou que l’on vive dans un camp de réfugiés. Les femmes et les filles dans la précarité ont vraiment besoin d’être soutenues durant ces périodes ».

Outre les kits de dignité, nous distribuons également des kits d’hygiène pour permettre aux femmes d’accoucher dans de bonnes conditions. Une bonne hygiène durant l’accouchement protège les femmes et les nouveau-nés des infections graves. Cela contribue à réduire la mortalité maternelle et infantile« .

Comme nous l’avons déjà mentionné, la violence fondée sur le sexe est toujours présente dans ces circonstances difficiles. Cet aspect est également pris en compte dans la coopération, où nous sensibilisons et fournissons des médicaments qui réduisent le risque de maladies transmissibles. « En sensibilisant les femmes, celles-ci sortent souvent de leur silence et osent en parler », conclut Jeanne-Cécile.

Soutenez Memisa dans son action et apportez votre soutien aux femmes de l’Est de la RD du Congo.

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28 mai 2024

Au Burundi, pluies torrentielles et inondations menacent l’accès aux soins de santé

Les Burundais subissent les effets du changement climatique de plein fouet. Depuis septembre 2023, les pluies sont plus fréquentes que d’habitude. Et plus fortes. Ces derniers mois, le phénomène s’est encore aggravé. Plus de 100.000 personnes ont été contraintes de quitter leur foyer pour fuir les inondations et se protéger des potentiels glissements de terrain.

Pluies torrentielles, glissements de terrain et risque de crues : une réaction en chaîne 

Selon l’ONU, plus de 200.000 personnes ont été impactées par les pluies diluviennes, les grêles, les inondations ou les glissements de terrain depuis l’automne 2023 (OCHA, 2024). Et 100.000 d’entre elles ont dû quitter leur domicile pour rejoindre des zones épargnées par les eaux. A la hâte et sous la pluie – qui n’en finit décidément pas de tomber -, ces familles construisent leur nouveau foyer avec des bâches et des bouts de bois ou trouvent refuge dans des écoles et des églises. Mais après quelques mois ou quelques semaines à peine, elles ont l’ordre de quitter la place : la zone est à son tour menacée par des inondations et glissements de terrain. Il faut trouver un nouvel espace pour se protéger et recommencer. De nombreux habitants ont ainsi dû se déplacer à de multiples reprises ces dernières années [1].

Le 19 avril 2024, un nouveau glissement de terrain a eu lieu à Kirasa. Une personne est décédée et plus de 375 maisons sont endommagées. La centrale hydroélectrique de Kirasa est détruite. Des réservoirs d’eau sont endommagés.
Avec toutes ces pluies, le niveau du lac Tanganyika monte dangereusement [2]. Si le lac venait à déborder, les conséquences seraient encore plus dévastatrices pour le pays.

Le phénomène El Niño

Le Burundi connaît normalement 2 saisons des pluies : la première de septembre à janvier, la seconde de mars à mai. Cette année, la saison des pluies n’a pas connu de pause. Le phénomène climatique El Niño n’est pas étranger à cette catastrophe.

Un désastre pour la santé des habitants du Burundi

Actuellement, 5 structures de santé ont été détruites par les inondations. Beaucoup d’autres ne sont plus accessibles à cause des routes inondées. Cela veut dire que des milliers de personnes n’ont plus accès aux soins de santé. Que des centaines de femmes enceintes ne peuvent plus se rendre à l’hôpital ou au centre de santé pour accoucher avec l’accompagnement d’un professionnel de santé. Que les structures de soins encore fonctionnelles sont dans l’impossibilité de s’approvisionner en médicaments, par contrainte logistique.

Inondations Burundi - pharmacie sous eaux

Et puis, plus de 20.000 ménages ont perdu leurs récoltes. Des hectares de champs cultivés (au moins 40.000) ont été inondés. Cela laisse à prévoir un manque de nourriture dans les mois à venir, et donc un impact sur la nutrition des enfants.

De plus, dans son rapport, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) met également en évidence le nombre de latrines détruites par les inondations. L’accès à des toilettes aménagées est en effet un enjeu majeur de santé publique. Les déjections humaines contiennent des bactéries et des agents infectieux. Ces agents peuvent contaminer les sources d’eau. Des maladies telles que la diarrhée, le choléra, la dysenterie et la fièvre typhoïde peuvent se déclarer auprès des personnes vivant près de sites de défécation non protégés.

Une réponse humanitaire est nécessaire

Les populations déplacées ont un besoin urgent d’aide humanitaire. Des abris d’urgence sont nécessaire, ainsi que du matériel de cuisine, des matelas et des moustiquaires. Le besoin en alimentation est aussi urgent. A Kirasa, au moins 2500 personnes ont besoin d’assistance en vivres (OCHA). Enfin, l’installation de latrines dans les camps de réfugiés et des kits de collecte et de conservation de l’eau sont également une priorité.

Inondations Burundi - personnes et voiture dans les rues

Que fait Memisa au Burundi ?

Ces catastrophes climatiques montrent combien il est important d’avoir un système de santé solide, résilient aux effets du changement climatique. Un système de santé qui peut, quoi qu’il arrive, assurer la continuité des soins de santé. Au Burundi, Memisa travaille chaque jour pour renforcer le système de santé local. Afin que le système de santé burundais puisse améliorer la santé de la population, même en cas de chocs.

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26 mai 2023

Notre partenaire Action d’Espoir sur le terrain après les inondations dévastatrices à Kalehe

Le 4 mai dernier, des coulées de boues ont emporté une grande partie des villages de Bushushu et Nyamukubi dans le territoire de Kalehe (Sud-Kivu). Le bilan est lourd : plus de 400 morts, 5000 disparus et des milliers de sinistrés (UN, 2023).
Action d’Espoir est le partenaire de Memisa au Sud-Kivu. Cette organisation sans but lucratif cherche à contribuer à la restauration des forces sociocommunautaires et économiques des personnes survivantes des crises diverses, partout où elle conduit ses activités. Ce mandat se traduit aussi en appui pour la promotion de la santé pour tous et en assistance humanitaire d’urgence en cas de calamités, dans l’objectif de soulager les victimes les plus vulnérables et leur permettre de rejoindre une phase de stabilité.
Marie-Noël Cikuru, Directrice d’Action d’Espoir, s’est rendue à Nyamukubi pour aller à la rencontre des habitants. Elle nous partage avec beaucoup de respect et d’empathie les notes prises durant sa visite.

 

Nyamukubi, 10 mai 2023, il est presque midi. Nous venons d’accoster, je m’élance du haut de la pirogue motorisée (il faut faire un bond jusqu’au sol pour en sortir) comme tous les autres passagers, et très vite, je suis sur la voie principale. C’était une route jusqu’il y a une semaine. C’est ici que passaient les véhicules pour relier les différents villages, et même les villes de Bukavu et de Goma. Je veux sentir l’air du lieu après la catastrophe survenue le soir du 04 mai 2023. Le lac reste la seule voie d’accès pour le moment. Depuis tous ces évènements, 6 jours sont passés, et le cauchemar dure.

A Nyamukubi, les eaux ont tout balayé au passage

Je salue, je passe les condoléances, je m’arrête pour échanger quelques mots. Un groupe de femmes, debout, au pied d’un manguier tout au bord de la route. Leur regard doux et aimable m’invite. Je demande ce qu’elles font là. « Rien ! répondent-elles à l’unisson. Nous tuons le temps. C’est pour ne pas rester seule à la maison. » Elles sont 4. Il faut dire que la route est remplie des gens qui vont et viennent, les locaux mêlés aux autres qui débarquent ou arrivent des villages voisins. Chacun avec sa mission, ses raisons. Parmi eux des « humanitaires » qui viennent pour évaluer les dégâts en vue d’une riposte.

L’une des femmes prend la parole et désigne tour à tour les autres. « Voyez-vous, celle-ci, par exemple, a perdu son fils. C’était un directeur d’école primaire. Il est mort avec 7 de ses enseignants alors qu’ils étaient en réunion. Tandis que celle-ci a perdu sa fille qui faisait la 5e des humanités… » A ces mots, la dame concernée se met à sangloter. Elle murmure quelque chose. Les autres veulent l’en empêcher. Je leur dis de la laisser verser les larmes qui lui viennent. C’est tout à fait naturel. C’est son corps qui exprime la douleur qui vient de son cœur. Et elles commencent à relater les évènements. « Ma fille est partie faire quelques petits achats au marché après l’école. C’est là qu’elle a été surprise par les eaux. Elles n’en est jamais revenue. »

« Ma fille est partie faire quelques petits achats au marché après l’école. C’est là qu’elle a été surprise par les eaux. Elles n’en est jamais revenue»

On trouve plusieurs petits attroupements spontanés de ce genre. Ils commentent sur les évènements. Un papa dans un groupe que je rejoins en marchant impose son analyse et le confirme : « Ce sont les creuseurs miniers qui sont à la base de ces dégâts. Ils dévient les rivières pour avoir de l’eau sur les lieux où ils travaillent. Ils font des barrages avec les eaux qu’ils dévient pour être sûrs d’en avoir pour longtemps, tant qu’ils en auront besoin. Et quand la pluie survient, elle trouve les choses dans cet état. Non seulement les eaux remplissent les trous déjà creusés par eux, mais aussi, elles cassent les barrages et les eaux se frayent un passage. Les rivières ainsi déroutées emportent tout au passage. Et voilà les dégâts ! »

Cette analyse est contredite par d’autres : « Non, c’est la faute à ceux qui coupent les arbres. Ils ne font que rechercher le « makala » (charbon de bois) sans se soucier de la suite. Et les arbres ne sont pas replantés. »

Les sinistrés construisent des abris de fortune

Les sinistrés construisent des abris de fortune

« Une catastrophe d’une telle ampleur n’a jamais été enregistrée ici, poursuit une dame dans le petit groupe. C’est la première du genre. Les catastrophes ne sont plus distancées, alors qu’avant elles laissaient un peu de répit. Les deux dernières sont séparées juste par un mois. La dernière avait eu lieu le 04 avril, mais elle n’avait pas causé autant de dégâts. » Pensez-vous que c’était une pluie ordinaire, celle-là ? – rétorque un homme – il y avait des forces surnaturelles à l’œuvre ! et la preuve : voyez ces grosses pierres ! Des eaux ordinaires ne peuvent pas à elles seules, faire ce que vous voyez là. On dirait qu’il n’a jamais existé ni maison, ni route ici. » C’est alors que je prends la parole aussi, et déjà nous marchons à trois tout en discutant. Je lui dis que les eaux sont puissantes et qu’elles sont capables de telles dégâts lorsque dans leur descente des hauts plateaux elles ne trouvent pas d’obstacle à leur passage. Et que la destruction se fait progressivement dans le temps, si rien n’est fait pour l’arrêter. Déjà en cours de route, quelque temps avant d’arriver à Bushushu, un autre lieu où la catastrophe est survenue, nous avons vu une colline en train de descendre. Et nous nous sommes dit qu’à l’occasion d’une prochaine pluie qui dure quelques heures, le glissement sera complet. Dans cet endroit, les quelques ménages sous menace commençaient à chercher où se réfugier.

« Le temps pour eux s’est arrêté il y a quelques jours»

J’avance avec ces interlocuteurs en m’éloignant progressivement du petit groupe. Je veux en savoir plus sur les deux dont l’aspect dissimule mal leur errance existentielle. Ils voient en moi, sans doute, une aide potentielle. Je leur dit l’objet de ma présence dans le lieu. Ils n’ont pas de peine à me croire. De toute manières, ils ne perdent rien à marcher encore des distances de plus avec l’inconnue que je suis. Le temps pour eux s’est arrêté il y a quelques jours.

J’apprends que l’homme a perdu sa femme et un de ses enfants, le petit dernier, le jour de la catastrophe. Tous les deux exerçaient comme enseignants dans le milieu. « Ma femme enseignait dans cette école. » Il montre du doigt quelque chose qui n’existe plus. « Elle était en réunion avec le directeur et ses collègues. Ils ont tous péri. » (Je me rappelle que j’ai croisé quelques minutes auparavant, dans le premier petit groupe, une dame qui indiquait que son fils qui était directeur d’école avait péri avec 7 de ses enseignants alors qu’ils étaient en pleine réunion). « Nous n’avons jamais retrouvé son corps, dit l’homme, tandis que celui du bébé, nous l’avons identifié parmi les autres. Nous avions l’habitude de laisser les enfants auprès de leur grand-mère maternelle pendant que nous étions à l’école et nous les récupérions le soir en rentrant à la maison. Ce jour-là, ma belle-mère venait de se séparer des trois plus grands (l’aîné a 7 ans), alors qu’elle gardait le tout petit (1 an et demi) attaché au dos. Elle allait fermer la porte de sa maison et quitter aussi. Elle a été surprise par les eaux. Son corps n’a pas été retrouvé alors que celui du bébé qu’elle avait au dos, nous l’avons retrouvé. » L’homme qui parle reste l’ombre de lui-même. Il dit que tout son corps tremble. Il n’arrive pas à dormir depuis les évènements malheureux. Il se sent perdu, seul avec les enfants sans sa femme. Il dit ne pas savoir par quel bout recommencer.

Plusieurs corps, comme celui de la femme de mon interlocuteurs sont encore sous les décombres entassés et recouverts de grosses pierres, difficiles à dégager à la main. A Nyamukubi comme à Bushushu, la présence des corps en décomposition se signale par une odeur fétide lorsqu’on passe à proximité. On ne saura probablement jamais le nombre exact des décès. A la date d’aujourd’hui, 10 mai, on dénombrait quelques 400 corps retrouvés et enterrés. 264 rescapés reçus dans des structures pour les soins. Des informations de bouche à oreille renseignent aussi que des corps ont été retrouvés à Idjwi, une île qui se trouve dans le lac Kivu. La catastrophe est survenue un jeudi, jour de marché à Nyamukubi. Des gens viennent des différents milieux pour vendre ou acheter des produits. Il est donc certain que tous les corps retrouvés ne sont pas nécessairement ceux des habitants du lieu.

A ce jour, aucune aide significative n’a encore été apportée à ces populations. Les rues sont « envahies » par les rescapés, du moins ceux qui ne sont pas hospitalisés. Ils espèrent quelque chose. Ils se mêlent aux visiteurs venus d’ailleurs, dont des parents des disparus venus constater de leurs yeux et pleurer sur les lieux où autrefois, ils rencontraient leurs proches. Depuis la catastrophe, chaque jour voit débarquer des délégations de divers ordres pour s’enquérir de la situation. Certains politiciens ont apporté quelques vivres et matelas. Trop insignifiants pour répondre aux besoins. Nous avons entendu que les sinistrés ont décliné la proposition de délocalisation pour un campement, préférant rester à proximité de chez eux et de la route. Chaque pluie ravive les peurs, mais une solution durable n’est pas de sitôt. L’une des pistes serait d’envisager un reboisement systématique en remontant aux moyens et hauts plateaux.

Marie-Noël Cikuru, mai 2023

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