Quel dommage d’avoir dû attendre le COVID-19 pour inscrire les soins de santé à l’agenda politique
N’est-il pas regrettable d’avoir dû attendre la crise du coronavirus pour prendre conscience de l’importance de soins de santé performants ? Le Dr Elies Van Belle, directrice générale de Memisa, souligne que l’accès à des soins de santé abordables est essentiel pour endiguer cette pandémie. Pas seulement en Belgique mais à l’échelle internationale.
L’importance d’un système de santé de qualité fait l’objet d’une attention sans cesse réduite. Le personnel infirmier descend dans la rue et exige que sa profession soit appréciée et rémunérée à sa juste valeur car il craint – à juste titre – que la reconnaissance de l’héroïsme ne change en rien le système. Une attention particulière est également accordée à la formation. Nous nous réjouissons de constater que cette crise ne dissuade pas les jeunes de choisir un avenir dans les soins de santé. Révision du budget, politique fragmentée, les 9 ministres compétents réfléchissent encore…
Il est désormais évident qu’il ne s’agit pas uniquement d’une crise du système de santé mais bien d’une crise systémique. Nous devrons en tirer des enseignements car cette crise relie tous les domaines de notre vie quotidienne. Ces derniers mois, nous avons perçu très nettement le lien étroit qu’entretiennent l’économie et la santé (De Standaard, 30 mai).
Cette crise nous met face à notre propre vulnérabilité et c’est pourquoi un système de santé de qualité prend subitement toute son importance. La priorité y est accordée aux individus et ces derniers ne peuvent fonctionner correctement que s’ils sont en bonne santé physique et mentale.
Prendre un médicament lorsque l’on est malade ne suffit pas : il s’agit de prévoir des soins adaptés pour chacun, indépendamment de la gravité de sa pathologie ou de sa situation financière. Un accès sans conditions aux soins de santé, en d’autres termes un système sur lequel vous pouvez compter en permanence, tout au long de votre vie.
Mais n’est-il pas regrettable d’avoir dû attendre le COVID-19 pour en prendre conscience ? Que nous ayons attendu la crise du coronavirus pour inscrire à nouveau les soins de santé en Belgique et dans le monde en haut de l’agenda politique ?
Sachant que les soins de santé en Belgique comptent parmi les plus performants au monde et qu’ils craquaient de toutes leurs jointures, nous sommes tous préoccupés par ce qu’il se passe en Afrique.
Début mars, je me trouvais à Kinshasa en République Démocratique du Congo, juste avant l’entrée en confinement des pays européens, l’un après l’autre. Des nouvelles inquiétantes nous ont été rapportées. Une menace d’épidémie nous arrivait des stations de ski italiennes. Juste avant mon retour en Belgique, c’était la journée internationale de la femme. Et ce matin-là, toutes les employées de l’auberge où je séjournais, vêtues des mêmes magnifiques pagnes colorés, sont montées dans une camionnette pour aller fêter l’événement.
Je me rappelle parfaitement des mots d’Eveline, l’une des femmes. « J’espère que le coronavirus n’arrivera pas au Congo, sinon nous allons tous y passer ! » Sa crainte était parfaitement compréhensible en raison du virus Ébola et des ravages énormes qu’il a causés à l’est du pays, et dont le souvenir est encore douloureux. Je lui ai parlé et j’ai tenté de la convaincre qu’il ne s’agissait pas d’une maladie aussi grave. Que pour des adultes en bonne santé, le coronavirus n’était pas beaucoup plus grave qu’une grippe, mais je voyais bien qu’elle ne me croyait qu’à moitié…
À ce moment-là, nous ignorions totalement ce qui nous attendait. Lorsque, quelques semaines plus tard, le centre de Kinshasa a été mis en quarantaine et que toute la RD du Congo a été soumise à des mesures strictes, nous avons vu grandir la crainte que ce ne soit pas la maladie elle-même mais bien les conséquences de ces mesures qui tuent la population très précarisée. En effet, comment nourrir vos enfants si cette nourriture dépend de vos revenus de la journée, mais que tous les marchés et ventes de rues sont subitement interdits ?
Aujourd’hui, quelques mois plus tard, nous constatons que l’impact de l’épidémie n’est pas le même que chez nous, mais est-il pour autant moins grave ? Il semble y avoir moins de décès dus au coronavirus… il y a un ralentissement de l’épidémie… il y a moins de personnes âgées et moins de malades chroniques en Afrique donc… donc quoi ? Nous savons qu’il n’y a pas de capacité pour réaliser des tests, que les chiffres sont incomplets et surtout, que les services de santé ne sont pas équipés pour hospitaliser une personne dans des conditions acceptables, et encore moins pour traiter des cas sévères. Et même si c’était le cas, la majorité de la population congolaise ne peut pas payer les soins médicaux.
Telle est la réalité.
À présent que les pays européens se remettent lentement, nous n’avons pas le droit d’oublier le reste du monde. Une pandémie peut uniquement être contenue si des actions appropriées sont entreprises à l’échelle internationale, tant sur le plan médical qu’économique. Si chacun(e) a un accès illimité aux soins médicaux dont il ou elle a besoin, à un prix abordable. La crainte d’Eveline était justifiée, tout comme la vôtre. Le moment est venu de prendre conscience que les frontières sont des constructions fictives et que tous les êtres humains sont égaux.
Le moment est venu de se sentir citoyen du monde et de considérer la solidarité internationale comme une évidence.
Elies Van Belle directrice générale de Memisa.