Lunettes intelligentes en RD du Congo : « De drôles de lunettes ont sauvé la vie de mon fils ».
C’est une journée agitée au centre de santé de Katenda (province du Kwilu, RD du Congo). Un garçon de 10 ans est allongé sur une table de soins pendant qu’une infirmière examine son abdomen. Dans la pièce voisine, l’infirmière en chef rassure une mère et son bébé en pleurs, tandis qu’un peu plus loin, un homme âgé quitte la pharmacie avec une boîte de médicaments sous le bras. Sur les marches devant le bâtiment, les patients et les membres de leur famille attendent, tout en cherchant un abri à l’ombre.
« Depuis plusieurs mois, nous constatons une augmentation du nombre de patients », nous dit l’infirmière en chef Beatrice Kimonga. « C’est sans doute parce que, grâce aux lunettes connectées, nos patients peuvent avoir l’avis d’un médecin qui n’est pas physiquement présent », explique-t-elle. Le centre de santé Katenda est l’un des trois centres où Memisa, avec Iristick (spécialisé dans la télémédecine) et l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, a introduit la technologie innovante des lunettes intelligentes. Ces lunettes fabriquées par Iristick contiennent une caméra, un microphone et des haut-parleurs, elles permettent aux infirmières d’échanger des informations en direct avec des médecins ou des experts qui ne sont pas sur place.
« L’avantage d’utiliser ces lunettes est que j’ai les mains libres », démontre l’infirmier Roger Munvunga. Il pousse sur l’abdomen d’un garçon pendant qu’un médecin, qui se trouve à des dizaines de kilomètres, assiste à la scène et lui pose diverses questions. « Et un peu plus loin, ressentez-vous une tension à cet endroit ? ». « Avec un téléphone, il me serait difficile de passer un coup de fil et de faire en même temps ce que le médecin me conseille », dit Roger. |
Vraiment spectaculaire
Dans un pays comme la RD du Congo, où les patients doivent souvent marcher pendant des heures pour atteindre une structure de santé, une consultation médicale à distance peut littéralement sauver des vies. « Quand ils m’ont parlé des lunettes connectées, j’ai d’abord trouvé ça étrange. Honnêtement je n’y croyais même pas. Mais quand j’ai vu que l’infirmière pouvait être en contact avec le médecin, j’ai été convaincu », dit Freddy qui a des problèmes respiratoires. « Vraiment spectaculaire ». Depuis ce jour, Freddy proclame fièrement à tous ceux qui l’entendront qu’il a été soigné par un médecin situé des dizaines de kilomètres plus loin. « Et c’est ainsi que nous avons de plus en plus de patients », dit en riant l’infirmière Béatrice. « Il est déjà arrivé plusieurs fois qu’un patient d’un autre village (où il y a également un centre de santé) veuille encore marcher plus loin pour atteindre ce centre et entrer en contact avec un médecin à travers les lunettes. » |
Depuis l’arrivée des lunettes intelligentes, l’infirmière n’a-t-elle pas le sentiment d’être observée par un médecin qui regarde par-dessus son épaule ? « Rien que l’idée que je puisse appeler un médecin si nécessaire me donne confiance. Et en plus, j’apprends constamment parce que le médecin me donne des conseils lors de ces consultations à distance. »
Orientation vers l’hôpital grâce aux moto ambulances
Si le médecin constate que le cas n’est pas couvert par les soins dispensés dans le centre de santé, il conseille au patient de se rendre à l’hôpital. Le projet prévoit également la mise à disposition de deux moto ambulances financées par un système de solidarité.
« Pour nous, les jeunes du village, c’est un grand soulagement que des moto ambulances soient disponibles depuis peu. Avant, nous étions appelés à emmener des malades ou des blessés à l’hôpital. À pied, c’est un voyage de cinq heures. Deux ambulances pour trois centres, ce n’est pas beaucoup, alors il arrive encore que nous devions transporter un patient à pied jusqu’à l’hôpital ou que nous commencions à marcher et que nous rencontrions l’ambulance à mi-chemin », explique Eric Makinisi, représentant du groupe de jeunes à Katenda.
Bien qu’Eric ne soit pas allé lui-même au centre de santé depuis l’introduction des lunettes intelligentes, il est très bien informé sur le projet. Il parle des panneaux solaires qui alimentent le centre en électricité et des problèmes techniques qui ont fait que les vitres sont restées inutilisées pendant les premiers mois.
Fracture numérique
« Dès le début du projet, nous avons pensé qu’il était très important d’impliquer tout le village. Nous avons organisé des sessions d’information et des moments de sensibilisation pour les dirigeants du village, les comités de mères, les enseignants, les jeunes et les personnes âgées » explique le docteur Jules Diko Diaka. Il suit le projet pour Memisa et est connu dans la région sous le nom de ‘Dr Lunettes’.
Certains habitants de Katenda n’ont jamais eu de contact avec quelqu’un de l’extérieur du village via un smartphone ou un ordinateur. Avec ce projet, Memisa ne veut pas seulement améliorer la qualité des soins de santé. Elle veut également réduire la fracture numérique. Comme les infirmières travaillent avec des lunettes numériques et un smartphone avec le groupe WhatsApp, la population a une idée de ce que la technologie peut signifier dans leur vie quotidienne. De plus, les succès du projet se sont répandus comme une traînée de poudre, les patients jouant le rôle de véritables ambassadeurs et encourageant le reste du village à s’intéresser à la technologie.
« Je craignais que mon fils ne s’en sorte pas. »Lorsque les jumeaux d’Annette ont eu de fortes fièvres et ont perdu l’appétit, elle a décidé de se rendre à pied au centre de santé de Katenda. À environ 6 kilomètres de l’endroit où elle vit. Son frère l’accompagnait, chacun portait un enfant. L’infirmière a examiné les jumeaux, mais elle avait des doutes : les enfants présentaient toutes sortes de symptômes différents qui pouvaient signifier différentes affections. Un test aurait été concluant, mais l’infirmière ne voulait pas perdre de temps. Elle a donc utilisé les lunettes intelligentes pour demander conseil au médecin de l’hôpital de Kingandu. En auscultant le premier des garçons, le médecin avait encore des doutes, mais quand il a vu l’état du deuxième, il a directement annoncé que la famille devait se rendre à l’hôpital. L’ambulance a été envoyée et deux heures plus tard, Annette et ses fils ont pu partir. « Le voyage n’a pas été facile », raconte-t-elle. « J’étais à l’arrière de la moto avec un enfant dans chaque bras. Surtout Jacques était très faible, alors il m’a fallu beaucoup d’efforts pour le soutenir sur les routes en mauvais état ». Une situation éprouvante pour la maman, non seulement physiquement, mais aussi mentalement. « Je craignais vraiment que Jacques ne s’en sorte pas. » Comme le médecin lui-même avait envoyé les patients, le personnel était préparé pour leur arrivée à l’hôpital. L’examen a pu commencer immédiatement. Les résultats ont montré qu’il s’agissait d’une anémie due au paludisme. Le garçon a reçu une transfusion sanguine qui a fait remonter ses globules rouges. Pour son frère, les médicaments ont suffi à le guérir de la malaria. « Grâce aux bons soins prodigués à l’hôpital, les deux enfants se sont vite rétablis », explique Annette. « Tout s’est passé assez vite. Ce n’est que quelques jours plus tard, lorsque nous avons été autorisés à quitter l’hôpital, que j’ai réalisé que ces drôles de lunettes ont sauvé la vie de mon fils. » |